Sainte Geneviève des Bois, son cimetière orthodoxe connu dans le monde entier, sa maison de retraite pour les émigrés russes, fondée en 1927 par la princesse Véra Metschersky, sont indissolublement liés à l’histoire de l’émigration russe en France. La Maison Russe actuelle, héritière de l’ancienne maison de retraite, et lieu de repos et de culture, a ouvert, il y a quelques semaines, un nouveau chapitre de sa longue histoire, avec l’inauguration d’un Centre d’archives russes, que j’ai demandé à Jean de Boishue, ancien ministre et président de l’association Maison Russe, de nous présenter.
Pouvez vous nous dire comment est né le projet du Centre d’archives ?
Le projet peut sembler paradoxal, puisque la vocation d’une maison de retraite n’est pas du tout d’abriter un fonds d’archives mais bien entendu d’héberger et de soigner des gens, ce que nous faisons à la Maison Russe depuis 1927. Nous n’étions donc pas tout à fait dans notre vocation, mais nous nous sommes vite aperçus qu’au bout de ces très longues années, nous avions un vrai fonds documentaire, non seulement sur la vie des pensionnaires mais aussi sur toute une épopée russe en France. Nous avons alors pensé que le protéger et permettre qu’on le consulte, était un travail utile et d’une certaine manière un hommage rendu à ces milliers de disparus qui ont terminé leur vie chez nous .
Comment l’avez vous mis sur pied ?
Nous possédions des archives importantes, qui étaient au grenier et auxquelles personne ne prêtait attention. Les personnes étaient souvent mortes sans famille, on se débarrassait donc malheureusement de leur environnement immédiat, en fait quelques pauvres papiers qu’on mettait au grenier. C’est là où nous avons trouvé notre trésor et à notre grand étonnement, ces archives ne s’étaient pas du tout altérées ; elles étaient sous le toit où la température était constante ce qui avait permis aux papiers de se sauvegarder alors qu’ils auraient pu se détériorer. Nous avions donc un fonds que nous avons patiemment collecté car il était très dispersé et pas encore classé. Puis il a fallu évidemment construire un lieu.
Où se trouve ce lieu ?
C’est la partie la plus ancienne de la Maison Russe, historique à deux titres : c’est l’aile où se sont installés les Russes en 1927 en arrivant, et c’est un bâtiment du 17ème siècle ayant appartenu à l’archevêché de Corbeil à l’époque où Sainte Geneviève des Bois était un tout petit village.
Elle avait été abandonnée ; avant la guerre de 1940, elle était vouée aux mourants, et juste après, le système sanitaire n’étant pas ce qu’il est aujourd’hui, on y gardait des gens très gravement atteints par différentes maladies liées à leur destin d’abord et puis à l’âge bien sûr, qui décédaient souvent sur place. Le bâtiment tombait un peu en ruines et nous l’avons intégralement restauré ; ça a été un très gros chantier de presque deux ans, qui a permis une double opération, puisqu’aujourd’hui le premier étage sert à de nouvelles chambres réservées aux malades Alzheimer et le rez-de-chaussée aux archives, sans oublier les fameux greniers où maintenant elles sont stockées, mais cette fois ci classées et protégées.
Pouvez vous nous parler de son fonctionnement ?
Nous démarrons une vraie aventure. Nous n’avions pas vocation à gérer un centre d’archives, mais nous n’avons pas fait ça comme ça, « au doigt mouillé » comme on dit en français, nous avons traité le dossier scientifiquement. Nous avons consulté des spécialistes des Archives de France, les Archives départementales nous ont apporté leur soutien, et la DRAC d’Île de France a contribué à inscrire l’ensemble de la Maison Russe à l’inventaire complémentaire des monuments historiques. Des spécialistes de Russie sont également venus examiner le fonds et ont déclaré qu’il était pour eux extrêmement précieux. Nous avons donc établi scientifiquement sa valeur, sinon bien entendu il avait peu d’intérêt.
Pour l’instant, l’essentiel, le classement, est fait, grâce à un travail d’archiviste, très long et compliqué, effectué par une société spécialisée. Comme il y a des documents en français et en russe, il a fallu travailler sur les deux langues, beaucoup déchiffrer, retrouver, regrouper. Nous avons ainsi réuni et classé 171 mètres carrés linéaires d’archives, en principe disponibles, parce que nous espérons, dans les semaines à venir, trouver quelqu’un qui puisse effectivement gérer et donner accès à ce fonds ; d’autre part, il faut le numériser, parce qu’il est très nécessaire aujourd’hui que des documents comme ceux là puissent être accessibles du monde entier, pour servir aux familles et aux chercheurs. Je dis familles et chercheurs, parce que ce fonds intéresse beaucoup de gens en Russie, à la recherche de leurs racines ; nous recevons très souvent des demandes et aujourd’hui nous voulons y répondre le plus vite possible, grâce à lui.
Au fond, ce centre n’est-il pas comme un pont ?
Oui c’en est un, incontestablement, qui a commencé à se construire à la suite de la chute du mur de Berlin et se concrétise et se consolide maintenant. Pendant soixante dix ans, nous n’avons pas vu de Russes et puis nous les avons vu arriver et se renseigner sur l’émigration. Maintenant nous pouvons rendre un réel service à la mémoire de cette très grande émigration, arrivée en Occident, à la mémoire de sa tragédie et de son destin. Nous pouvons aussi rendre hommage à des personnages parfois illustres auxquels même Soljenitsyne s’est intéressé en venant ici.
Ce centre a une autre vocation importante car il fait partie du réseau du Musée de l’Immigration de la Porte Dorée, ouvert par l’État sur l’histoire de l’immigration en France. Dès l’ouverture de ce Musée, nous lui avions d’ailleurs, bien avant la création du Centre d’archives, prêté des objets ayant appartenu à nos pensionnaires ; des objets toujours extrêmement simples car, par définition, l’émigré voyage avec peu de choses, souvent une icône pour les Russes, une décoration pour ceux qui ont combattu dans les armées blanches ou dans les armées tsaristes, et puis surtout une valise. Des valises, des valises, des valises… L’émigration, c’est d’abord une histoire de valises…
Nous avons donc gardé des contacts très étroits avec ce Musée et nous sommes dans ce réseau ; l’émigration russe a bien entendu sa spécificité et elle est particulièrement intéressante et intense à cause de la qualité des gens qui ont fait des parcours invraisemblables, ont connu des destins brisés, recommencés, reconstruits, détruits à jamais…
C’est cela l’intérêt des archives. On n’y trouve pas de documents exceptionnels, de mémoires introuvables ; non, l’immigré n’a pas le temps de faire ça, il le fait un peu quand il arrive. Mais il laisse surtout sur la carte du monde, un tracé, là où il s’est arrêté, a attendu, a espéré ; ces archives retracent surtout un parcours souvent tragique qui s’est terminé à la Maison Russe de Sainte Geneviève des Bois. Pour cela nous considérons que ce centre est important, pour nous et pour la Russie d’aujourd’hui.
La Fédération de Russie s’est-elle intéressée à ce centre ?
Oui, elle s’y est intéressée en en finançant une partie. Nous n’aurions pas pu réaliser ce projet si le ministre de la Culture de l’époque ne nous avait pas proposé de participer au financement et si la Fédération de Russie n’avait pas participé au co-financement de l’opération, avec évidemment des fonds français. C’est donc une opération franco-russe qui est fort sympathique et qui n’altère en rien notre indépendance. La Fédération de Russie nous a demandé seulement de pouvoir consulter ces archives, comme n’importe qui aujourd’hui.
Nous souhaitons deux choses : qu’elles soient largement ouvertes à tout le monde et surtout que ce centre puisse servir à d’autres archives. C’est déjà le cas parce que Serge Alexeievitch Kapnist, président de la Croix Rouge russe Ancienne Organisation, y a mis celles de cette dernière. Nous espérons que d’autres, dispersées, toujours à droite, à gauche, toujours tributaires de disputes, de destins, etc…, puissent trouver ici un havre d’accueil où tous les Russes en France puissent être réconciliés autour de l’hommage rendu à leurs ancêtres.
J’insiste sur le fait que nous n’avons pas du tout l’intention de nous accaparer quoique ce soit ; l’association Maison Russe n’est pas propriétaire des archives, elle prête ses locaux. Si quelqu’un veut déposer les siennes, il peut le faire par voie de convention avec possibilité pour lui de les retirer quand il le souhaite. Mais il est très important qu’il y ait quelques lieux en France, comme le Musée Cosaque par exemple, où se rassemblent les objets, les hommes, et où soit célébrée la mémoire ; en France, la mémoire russe est trop dispersée, trop émiettée, trop divisée par des querelles d’un autre temps, et nous souhaitons que cette partie de la Maison Russe puisse servir de lieu de mémoire, et comme toutes les mémoires, de lieu d’espoir. Voilà l’histoire des archives et nous leur souhaitons bonne chance.
Pratiquement, si j’ai un fonds d’archives intéressant, comment dois je donc procéder ?
Venez nous voir et tout sera clair.
Nos coordonnées sont les suivantes :
Maison Russe
1 rue de la Cossonnerie
91700 Sainte Geneviève des Bois
Téléphone : 01 69 46 85 00
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