« Une enquête longue d’un siècle »…

août 29, 2012 admin 3 comm.

Correspondante de Russky Most à Moscou, Ereena Somova, nous raconte dans le détail l’exposition “La mort de la famille de l’empereur Nicolas II – une enquête longue d’un siècle » qui s’est récemment achevée aux Archives d’Etat de la Fédération de Russie (G.A.R.F. / 26 mai-29 juillet 2012).
Cette manifestation a visiblement produit une impression profonde sur les visiteurs. Encore une pierre apportée à l’édifice… le rétablissement de la vérité historique est bien loin d’être achevé, hélas, mais tout progrès – même mineur – mérite d’être signalé. RM.


Je suis allée voir cette exposition le dernier jour. Une demi-heure après l’ouverture, il y avait déjà beaucoup de monde. L’exposition comportait surtout des documents – télégrammes, lettres, listes, journaux intimes, procès-verbaux et photographies. Elle occupait trois salles.

Dans la première, tous les documents se trouvaient dans des vitrines disposées devant des séries d’affiches imitant une clôture, évoquant aussitôt la clôture qui entourait la maison Ipatiev. Sur ces affiches, des extraits des documents essentiels étaient reproduits en lettres blanches ou noires. Juste à l’entrée, imprimée en rouge, on pouvait lire la dernière phrase du journal intime de l’empereur, datant du jour de son abdication : « tout autour, couardise, trahison et tromperie ». On percevait ainsi d’emblée la compassion des organisateurs de l’exposition envers les martyrs impériaux. Les visiteurs parcouraient la première salle en lisant les documents si attentivement qu’ils stationnaient épaule contre épaule. Etonnamment, ils ne poussaient pas, mais attendaient patiemment et tranquillement leur tour, parlant parfois entre eux à voix basse. (Malgré le fait que, dans le métro, en permanence, les hauts-parleurs appellent les gens à se montrer courtois, c’est ici, à cette exposition, après deux mois de vie à Moscou, que j’ai pour la première fois ressenti une politesse réciproque dans la foule.)

En tournant au coin de la salle, on se retrouvait dans un corridor conduisant à une salle obscure. Dans une vitrine, on pouvait voir les armes effrayantes des régicides (pistolet et baïonnettes) ; sur un autre mur – des extraits des mémoires de ces mêmes bourreaux et, sur un troisième mur – le plan de la cave de la maison Ipatiev, indiquant la place de chacun et la trajectoire des balles criminelles. A cet endroit, on pouvait prendre des écouteurs et découvrir l’enregistrement de l’interview de l’un des assassins, réalisée en 1964. C’est ainsi que j’ai écouté ce misérable énumérer tranquillement les différents moyens envisagés pour éliminer la famille impériale et ses fidèles serviteurs, en concluant que la méthode choisie était la plus humaine ( !). A un autre endroit, on pouvait écouter l’interview d’un deuxième meurtrier. Sans aucune pitié et même avec plaisir, il racontait comment ils avaient déshabillé les cadavres et à quel point la destruction des dépouilles mortelles de la famille impériale avait été plus importante encore que l’élimination même de cette dernière, pour que les Blancs ne les retrouvent pas et ne puissent pas organiser de processions. Trouve-t-on ici une infime parcelle de compréhension du crime commis, ou est-ce juste une coïncidence qui annonce l’avenir ?

On pouvait également voir des objets trouvés dans la maison Ipatiev et dans le puits de mine – l’uniforme de l’Empereur et celui du tsarevitch, des taies d’oreiller marquées du monogramme impérial, des broderies entreprises par les grandes-duchesses, des icônes, l’extrémité d’une ombrelle de dame, l’appareil dentaire du docteur Botkine. Beaucoup de ces objets venaient des Etats-Unis, où ils sont pieusement conservés par l’Eglise orthodoxe russe hors frontières au séminaire de Jordanville.

Dans la dernière salle étaient accrochées des photographies provenant des albums des grandes-duchesses. Leur simplicité, leur authenticité et leur innocence soulignaient la sauvagerie bolchévique tout en rassérénant les visiteurs après une exposition aussi pénible à voir. Sur un écran géant, on pouvait regarder des films muets montrant les enfants impériaux – s’amusant sur le pont du yacht « Standart », organisant un bazar de charité à Livadia, accompagnant leurs augustes parents. Impossible de ne pas remarquer le côté doux et pensif de l’humeur des visiteurs devant ces séquences. En sortant de l’exposition, j’ai feuilleté le livre rempli de commentaires émus laissés par les visiteurs, russes et étrangers. On y remarquait ces mots, d’une écriture tremblée : « Pardonnez-nous ».