Sept ans de préparatifs et de combats pour venir à bout de Napoléon. Le rôle de la Russie enfin remis à sa juste place : la première.
Un jour, Dominic Lieven, qui a longtemps enseigné l’histoire politique de la Russie à la London School of Economics, membre associé de la British Academy, en a eu assez.
Assez d’entendre seriner que seul l’hiver russe avait triomphé de Napoléon en 1812 et que la stratégie russe se résumait à un « amalgame d’improvisations et d’accidents ». Assez de voir constamment minimiser le rôle de la Russie dans la chute de Napoléon.
Historien rigoureux, esprit indépendant, stimulé aussi par la tradition familiale (deux Lieven ont joué à l’époque un rôle éminent au service de la Russie), il a décidé de secouer les mythes et s’est plongé dans cette histoire pendant plusieurs années.
Il a écumé les sources anglaises, françaises, autrichiennes, prussiennes ET russes (largement inexploitées). Visité les champs de bataille, relu les mémoires et la correspondance des protagonistes. Analysé les aspects militaires, diplomatiques, économiques, la personnalité des protagonistes, la logistique de l’arrière. Il a fouillé, comparé, puis digéré cette masse d’informations avec efficacité et talent. Le rôle absolument fondamental de la Russie dans la victoire finale est enfin remis en lumière, sans aucune contestation possible.
En outre, le récit est passionnant de bout en bout. Le lecteur découvre des sujets inédits : l’excellence du cheval russe, les exploits des fourgons de ravitaillement ou de ces pontonniers russes au service de chaque armée de la Coalition, la formation des jeunes recrues arrachées à leur village, le frugal « biscuit » du soldat russe en campagne, les problèmes de munitions dépareillées.
Loin d’être alourdie par tous ces détails, la fresque prend vie et palpite. On y croise des centaines de personnages extraordinaires, les puissants comme les humbles, pris dans cette épopée qui voit l’armée russe traverser toute l’Europe, jusqu’à l’entrée triomphale des alliés dans Paris, le 31 mars 1814. On entend le fracas des sabots et des canons, le bruissement des salons, les querelles de l’état-major. On intercepte les messagers, on franchit les fleuves, les forêts, les montagnes, à pied, à cheval, en fourgon. On souffre dans la boue, le froid, on revit les sacrifices inimaginables, au quotidien ou au combat, à Borodino, Bautzen, sur les berges de la Katzbach, devant Dresde, Kulm, Leipzig, à Craonne ou Fère Champenoise.
On charge avec la cavalerie d’Ilarion Vassiltchikoff, on admire le sang-froid byronien d’un Mikhaïl Vorontzoff, l’habileté d’un Peter von der Pahlen. On pleure les siens comme si c’était hier, les Bagration, Koutaïssov, Neverovsky, Tchitcherine… et tous ces braves fantassins, cavaliers, artilleurs, tombés aux quatre coins de l’Europe. On découvre « diadia Korennoï », grenadier vétéran du régiment de Finlande , médaillé à Borodino, couvrant à lui tout seul le retrait de ses officiers dans une ruelle de village près de Leipzig. Fait prisonnier, il est présenté à Napoléon, qui apprécie les braves. Après la bataille, il regagne son régiment, faisant figure de ressuscité, puis de mascotte pour les générations suivantes, jusqu’en 1917.
Mais Dominic Lieven sait aussi reprendre du champ, poser les bonnes questions. Ses réflexions sont aussi intéressantes que le reste. Lisez ce livre. Vraiment.
T.S.
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